Le Blogue du BSL

LA SOCIÉTÉ DUVETNOR - Le jardinier de l'estuaire

Mer, 9 juin 2021

Participation spéciale Marie-Christine Lalande - Tour du Québec

Crédit : Simon Jodoin

C'est grâce au travail d'artisans passionnés que les beautés comme celles de l'Île aux Lièvres se dévoilent désormais aux visiteurs qui s'y rendent pour quelques heures ou quelques nuits, entre amis, en famille ou encore en amoureux.  

Depuis plus de 40 ans, le biologiste Jean Bédard préside aux destinées de la Société Duvetnor, un organisme à but non lucratif. Son histoire, en soi, est fascinante. Depuis sa création en 1979 par un petit groupe de biologistes, cet organisme voué à la conservation des îles du fleuve Saint-Laurent finance ses activités en permettant aux visiteurs d'accéder aux îles pour y séjourner mais aussi grâce à l'exploitation et la revente d'une précieuse ressource : le duvet des eiders, ces canards sauvages qui nichent par dizaines de milliers dans l'estuaire.

Depuis les années 1950, précise Jean Bédard, le glanage de ce matériau rare, avec lequel on fabrique des couettes de grande qualité, était pratiqué dans les îles, mais dans des conditions souvent peu respectueuses des oiseaux et du milieu. L'obtention de permis exclusifs de récolte a permis à 
Duvetnor d'encadrer cette pratique. C'est en suivant un protocole strict, qui vise à perturber au minimum la nidification, que ses cueilleurs le prélèvent à la main, chaque printemps. Cette activité a aussi constitué un levier financier qui lui a permis d'acquérir, dès 1984, plusieurs des îles de l'estuaire, que l'organisme s'est donné la triple mission de protéger, d'étudier et de faire connaître au public. Les canards sont donc les premiers à soutenir, à leur insu, la pérennité de leur habitat !
 

Avec les années, Duvetnor a acquis, tant auprès des gouvernements que des scientifiques et des écolos, une crédibilité considérable. Elle jouit, aussi, d'une solide réputation comme entreprise écotouristique, ayant développé au fil des années une offre originale qui permet aux amants de la nature de découvrir, en groupe restreints, la richesse naturelle et culturelle de l'estuaire. Ce succès est en bonne partie tributaire de la personnalité et du travail acharné de Jean Bédard, qui, à 82 ans, dirige toujours l'organisme, avec ambition et pragmatisme. 

Crédit : Simon Jodoin

Jardinier des îles 

Chercheur spécialiste des oiseaux marins et écologiste de longue date, M. Bédard s'est découvert une fibre militante en participant activement au mouvement citoyen d'opposition au développement hydroélectrique de la rivière Jacques-Cartier, en 1972 et 1973, à une époque où les dirigeants d'Hydro-Québec n'avaient pas l'habitude de voir leurs visées d'exploitation contestées, même dans un parc national.

« Ils avaient des gros sabots, ils allaient où ils voulaient, se souvient le biologiste. Ils arrivaient avec une étude d'impact de 4-5 pages, et commençaient. Ils brassaient du ciment, et c'était parti ! »
affirme Jean Bédard qui avoue sa fierté d'avoir contribué, par cette lutte, à faire reculer Hydro
.

Et estime que l'acquisition des îles par Duvetnor au début des années 1980 a permis d'éviter de semblables abus de « développement » économique. À l'époque, on parlait d'autoriser la chasse à l'Île aux Lièvres, d'y aménager une piste d'atterrissage… « On est arrivés à temps », soutient-il.  

Si certains, dans la région, lui en veulent encore d'avoir restreint l'accès aux îles, naguère spontané, les visiteurs qui embarquent chaque été avec Duvetnor pour les visiter s'émerveillent d'y découvrir une nature splendide et si merveilleusement préservée. Le rôle qu'y joue l'organisme dépasse celui de gardien d'un environnement intouché ; il intervient aussi sur cet environnement. C'est parfois dans l'optique de protéger le milieu d'une menace, même naturelle, comme l'envahissement de certaines zones par les cormorans, quitte à en réduire la population. Une initiative pour laquelle M. Bédard a essuyé quelques critiques, au tournant des années 1990. Le choix de l'écotourisme aussi, évidemment, suppose des aménagements minimaux. Le travail de Duvetnor, au fond, s'apparente à celui du jardinier : il protège, soigne et met en valeur, travaillant fort pour préserver le fragile équilibre de l'estuaire.  

Crédit : Jean Bédard, crédit Simon Jodoin
Crédit : Simon Jodoin

Au pays des oiseaux 

L'hébergement est possible sur deux îles seulement : celle du Pot, où la Société a magnifiquement restauré et converti en un gîte original un phare construit en 1862, et l'Île aux Lièvres, où se trouvent des chalets, une petite auberge, et plusieurs sites de camping sauvage. Sur l'Île aux Lièvres, on peut randonner dans quelque 45 kilomètres de sentiers, au milieu de paysages étonnamment variés et aux allures intouchées, avec l'impression d'être chez les nombreux oiseaux et petits mammifères qui la peuplent : cormorans, canards, gélinottes, hérons, campagnols, lièvres. Pourtant, l'humain la visite depuis longtemps, comme en témoigne un vestige découvert par hasard dans un sentier à l'été 2019 (par une petite fille de six ans !) : une pointe de flèche en quartzite, datant d'entre 3500 et 5000 ans ! L'Île a aussi été un lieu d'exploitation forestière aux 19e et 20e siècles ; des naissances y ont même eu lieu, raconte Jean Bédard, qui se passionne pour l'histoire de l'estuaire tout autant que pour ses écosystèmes, et rêve encore d'y consacrer un livre. 

Crédit : Phare de l'île du pot à L'eau-de-Vie, Mathieu Dupuis
Crédit : Chalet sur l'île aux Lièvres, Simon Jodoin

Pour l'instant, les connaissances historiques qu'il a amassées alimentent les explications passionnantes des guides-matelots de Duvetnor aux visiteurs. Ces derniers, embarqués pour un séjour insulaire ou pour l'une des croisières offertes par l'organisme, y découvrent une mine d'informations sur l'occupation humaine des îles, sur l'époque révolue des phares et de leurs gardiens, sur l'utilisation du Saint-Laurent comme route de contrebande d'alcool à l'époque de la Prohibition et la traque des contrebandiers par la police autour des Îles du Pot-à-L'Eau-de-Vie. Les croisières constituent des expériences « nature » et sensorielles autant que culturelles : on a les yeux ronds devant les phoques gris, les rorquals, les oiseaux marins par centaines, les falaises austères et sauvages des îles Pèlerins et les nombreux phares de l'estuaire, restaurés ou non ; le nez gavé d'air salin ; et la tête remplie d'informations et de questions sur ce fleuve magnifique qu'on croyait, jusque-là, connaître déjà.  

Crédit : Simon Jodoin

S'il y a une chose que Jean Bédard déplore, c'est qu'on ait pris l'habitude de découvrir le fleuve en mode vidéoclip :

« Tu veux voir les baleines ; tu viens à Rivière-du-Loup, tu vas aux baleines, trois heures et demie, c'est fini. Tu penses que tu as vu l'estuaire, mais tu n'en as rien vu ! Alors, tu te dis : “tiens, je vais continuer, je vais aller à Tadoussac !” Tu prends le traversier, tu descends la Côte-Nord, tu vas à Tadoussac, tu vas à Bon-Désir, tu vas à Les Bergeronnes. Là, tu te dis :  “je n'ai pas encore vu le fjord !” Alors, tu prends le bateau pour faire le fjord… »

Il s'agit toujours, pourtant, du même grand musée vivant : l'estuaire du Saint-Laurent.

Le prochain projet du président de Duvetnor, qui n'en a jamais manqué, est d'organiser des séjours de cinq ou six nuitées sur l'une des deux îles, émaillé de conférences de spécialistes, de randonnées de découverte et de croisières d'interprétation des Îles, de leurs parages et du littoral de Charlevoix, particulièrement spectaculaire vu du fleuve. Pour habiter, quelques jours, le trait d'union entre les rives nord et sud. 

Crédit : Monsieur Jean Bédard, Société Duvetnor, @Mathieu Dupuis

Pour en savoir plus :

Société Duvetnor

Tour du Québec

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